Les Justes
Guichet Montparnasse, Paris – Le 12 février 2017
Si Les Justes d’Albert Camus est une réponse faite au texte de Jean-Paul Sartre Les mains sales, il n’en porte pas moins les marques de la grandiloquence de son auteur ; un idéalisme bourgeois qui tend à la spiritualité et qui touche au romantisme. De cet idéalisme presqu’excessif, on en retient une phrase, percutante, forte, tout à la fois qu’ambivalente ; une demi-teinte : « Seul mourir pour l’idée est à la hauteur de l’idée ! »
Cette sentence porte en elle tout l’idéalisme aventurier qui habite la pièce de Camus. Là, il nous présente une histoire en demi-teinte, inspirée d’un fait divers et qui porte en germe les stigmates des actes déchus, de ces révoltes qui veulent donner un sens à leur vie par l’œuvre. Un groupe d’activistes socialistes idéalistes projette un grand œuvre, assassiner le grand Duc Serge. Ils échouent d’abord puis entraînent l’exécution d’un des leurs, séparant ainsi les deux amants : Yanek et Dora.
La mise en scène que nous propose Jean-Marie Ledo s’inscrit parfaitement dans cette demi-teinte. La scénographie, à la fois sobre et étouffante, utilise intelligemment le plateau du Guichet Montparnasse. Accompagné d’un savant jeu de lumière, le plateau prend vie et se divise en espaces précis (là, l’appartement des activistes ; là-bas, les rues des attentats ; ici, les geôles de l’état. On peut souligner le travail subtil des jeux d’ombres dans cette scène de prison, avec un éclairage projeté depuis la coulisse en jardin) et créant de belles atmosphères qui sert le jeu des comédiens..
Nonobstant une diction parfois problématique, l’ensemble du plateau garde une belle énergie et porte valeureusement ce texte difficile. On peut souligner l’interprétation à la fois subtile, investie et enthousiaste du rôle de Yanek, campé par Guillaume Kovacs, et la sensibilité, l’intelligence de jeu de Natacha Simic qui investit le personnage de Dora avec une belle force dans le regard et l’expressivité. La belle présence de Régis Debraz donne un corps inquiétant, voire pervers, au chef de la police : Skouratov. Le rôle de l’étudiant Voinov est servi par la belle énergie de Ronan Carretti. Stéphanie Gourdon nous propose une Grande Duchesse dont on ne saurait dire si elle est heurtée ou folle. Si l’on peut regretter quelques « attitudes » ou « pauses » stéréotypées dans le jeu de Jean-Marie Ledo, on savoure pourtant toute la force et tout l’engagement de son interprétation de Stepan. On regrette toutefois un Boria trop désincarné qui ne s’inscrit pas dans le rythme des autres personnages.
Ce travail judicieux du plateau est habité d’un jeu trop lissé dans les intentions. Les instants d’amour, les instants de révoltes, les instants de conflits, les instants d’action, semblent tous mis au même niveau et laissent un goût de manque d’engagement. Les contrastes entre les différents moments de vie ne sont pas assez assumés et provoquent ponctuellement un manque de rythme. Mais ce manque d’aspérité dans l’action reflète peut-être bien cette écriture particulière qu’est celle de Camus où la spiritualité donne corps à une forme de transcendance. Ainsi, ce texte qui parle de violence pour l’empêcher nous pousse à la réflexion et résonne (raisonne) dans cette mise en garde de Dora à celui qui lancera la bombe : il aura face à lui, non pas une fonction mais un être humain.